samedi 1 février 2014

"Impurs" de David Vann


J'avais adoré Sukkwan Island et Désolations de David Vann. Les deux premiers romans de cet auteur américain m'avaient fait l'effet d'une grande claque. On y découvre un style et un récit qui montent crescendo vers une fin tragique. Deux livres qui m'avaient envoûtée et que j'avais dévorés.

J'avais donc très envie de lire Impurs (titre original: Dirt), son troisième roman traduit en français. Et l'envie dans une lecture, c'est très important. Mais l'attente c'est aussi très problématique: on espère au moins trouver dans un nouvel opus tout ce qu'on a aimé dans les précédents. Et on a toujours le secret espoir que ce soit encore plus exceptionnel. Sur ce point, j'émets quelques réserves mais pourtant, indéniablement, ce nouvel opus m'a surprise. Et la surprise lorsqu'on a beaucoup d'attentes, c'est certainement la meilleure chose qui puisse survenir.

Dans Impurs, David Vann quitte les étendus isolées de l'Alaska pour faire vivre son récit en Californie. Mais attention, point de Los Angeles, de San Diego ou de climatisation ici; c'est une Californie déserte et brûlante qui constitue le décor étouffant de ce récit. Comme dans les deux précédents romans, le lieu est encor ici un acteur essentiel. David Vann affirme "l’écriture telle que je la pratique est presque un processus inconscient. Un inconscient qui prendrait des histoires de familles sordides de tout temps et les écraserait, les transformerait sur le paysage."

Le style de l'auteur est encore une nouvelle fois brillant et innovant (les dialogues sont par exemple intégrés au récit, sans utilisation de tirets).

David Vann est un écrivain incroyable, inoubliable. Il n'a écrit juste qu'ici que des choses fortes, douloureuses, jamais rien de banal. Ce sont les folies, les douleurs, les hontes comme la non-résistance des hommes face à la nature des hommes qui l'intéressent. Son histoire personnelle comme ses convictions en font un auteur qui ne fait pas dans la demi-mesure.

Sukkwan Island était inspiré de la fin tragique du père de David Vann. Ici, David Vann s'inspire de l'histoire qui a touché sa grand-mère et de sa période d'adolescent séduit par le "New Age"  en Californie.
Toujours, David Vann cherche à dénoncer la violence de la société américaine, comme il l'a dit en 2013 et en 2011 sur France culture. Celui-ci ne fait pas dans la dentelle en affirmant en interview que "les Américains sont trop stupides, trop débiles" (interview pour le Nouvel Obs, le 8/04/13). Il compare "le désert culturel américain" à la "patrie du livre" qu'est la France, avec des lecteurs français aimant les livres difficiles (interview passionnante sur France culture dans l'émission la Grande table). Merci David, mais attention aux généralités! Il nuance ses propos sur les Américains dans l'émission "Rendez-vous" en expliquant que les universitaires et les intellectuels des villes américaines sont souvent brillants, mais que ce sont les Américains des campagnes qui le désespèrent.
David Vann écrit ce troisième roman, en s'inspirant de la folie de Steven Kazmierczak, tueur de la NIU School en 2011. Il a d'ailleurs écrit un essai sur lui, non traduit en français: Last day on earth.


Impurs raconte la vie monotone de Gallen, jeune homme de 22 ans qui vit seule avec sa mère dans une grande maison isolée sous le soleil brûlant de la Californie. Le jeune homme se leurre sur l'apaisement que pourrait lui apporter la méditation.
C'est un huit-clos familial qui émerge rapidement: 2 lieux, 1 homme, 4 femmes pour une tragédie qui monte crescendo. 
C'est en effet encore une tragédie que David Vann écrit, il en revendique le terme dans plusieurs interview. Il estime que "la tragédie c’est en définitive la forme absolue qui raconte des hommes et des femmes qui se révèlent et se brisent, parfois contre leur gré."
L'auteur nous plonge dans la folie et la haine progressive de Gallen. C'est assez perturbant à lire. Inceste, pornographie, nourriture bas de gamme avalée et immédiatement vomie, expériences masochistes "New Age": rien ne nous est épargné. 
Mais ce qui choque fascine aussi: il est rare de lire "une folie" aussi réelle et aussi bien décrite. 
Petit à petit, les personnages se déchirent et la fin tragique est une nouvelle fois mise en scène en apothéose par l'auteur.

Si vous n'avez jamais lu David Vann, faut-il commencer par ce roman? Je ne crois pas. Il y a un crescendo dans la tragédie entre ses trois romans. Je vous conseille de les lire par ordre chronologique.

Faut-il lire Impurs? Si vous être prêt à être choqué et si vous n'avez pas peur du gore, si vous n'attendez pas un roman doux et apaisant: oui assurément!

La prochaine fois, David Vann nous promet un nouveau huit-clos tragique avec une femme entourée de 4 hommes...Encore vous me direz? Pas de panique si les mêmes thèmes se retrouvent dans les trois livres (l'isolement, le paysage, l'égoïsme, la paranoïa, la mort...), aucun livre ne se ressemble. Personnellement, j'ai déjà hâte!

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