lundi 27 janvier 2014

"Mesure de nos jours" de Charlotte Delbo

En ce 27 janvier, journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité, j'ai envie de vous parler d'un ouvrage que j'ai récemment découvert, grâce au cadeau d'un ami: le troisième tome d'Auschwitz et après, de Charlotte Delbo, intitulé: Mesure de nos jours.

Charlotte Delbo a été déportée à Auschwitz en 1943 puis à Ravensbrück en 1944. Elle estime qu'elle a survécu en particulier grâce aux poèmes et aux textes de théâtre qu'elle parvenait à se remémorer grâce à un important effort de mémoire (elle arriva à se remémorer 57 poèmes), ainsi que par les souvenirs de sa vie d'avant, le dialogue et la solidarité avec les autres déportées. 
Je crois qu'elle écrivit dès son retour le premier tome de sa trilogie, Aucun de nous ne reviendra, tout en décidant qu'elle ne demanderait pas à être publiée avant une vingtaine d'années. 
Ainsi, sa trilogie Auschwitz et après, publiée de 1965 à 1971, est une œuvre littéraire extrêmement travaillée et non un simple témoignage.
Le troisième tome, Mesure de nos jours, ne parle pas stricto senso de la Shoah, mais de comment les survivants de la Shoah ont vécu après ce traumatisme. 
Charlotte Delbo, donne voix à des survivantes pour évoquer les difficultés d'elle-même et de ses amies à redevenir "des vivantes".
Son texte alterne poésie et petits récits. C'est un ouvrage d'une grande beauté, qui montre la fragilité et les fêlures de ceux qui ont subi une blessure dont on ne guérit jamais.

Voici deux passages qui m'ont particulièrement touchée:

Poème p 19 de l'ouvrage des Editions de Minuit

"J'ai résisté à l'injustice
elle m'a prise
et elle m'a remise à la mort
j'ai résisté à la mort
si fort
qu'elle n'a pas pu m'ôter la vie
pour se venger
elle m'en a ôté l'envie
et
elle m'a fait un certificat
je l'ai là
signé d'une croix
pour m'en servir la prochaine fois"

Et pour finir cette modeste évocation de cet ouvrage de Charlotte Delbo, voici la dernière page:

"ENVOI

Un homme qui meurt pour un autre homme, cela se cherche 
ne dis plus cela Mendiant
ne le dis plus
ils sont des milliers
qui se sont avancés pour tous les autres
pour toi aussi
Mendiant
pour que tu salues l'aurore
l'aube était livide
aux matins des mont-valérien
et maintenant
cela s'appelle l'aurore
Mendiant
c'est l'aube avec leur sang" 

qui résonne avec (merci F.):

"La Femme Narsès - (...) Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève?
Electre - Demande au mendiant. Il le sait.
Le mendiant - Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore."

Jean Giraudoux, Electre, 1937.

Je ne peux que vous conseiller de lire ce brillant ouvrage, d'une rare beauté et d'une précieuse justesse. Encore merci à F. qui me l'a fait découvrir.

Puisqu'il est si fort d'entendre ses mots lus, je vous conseille aussi deux émissions sur Charlotte Delbo et son oeuvre, diffusées en 2013, l'année du centenaire de sa naissance. Elles sont encore en ligne:
- "Nous autres" sur France inter, du 25 janvier 2013 et du 1er février 2013

L'année dernière, nous avions pu voir le spectacle adapté de son oeuvre par la compagnie des Hauts de Seine, au théâtre du gymnase. S'il passe encore près de chez vous, n'hésitez pas.

2 commentaires:

  1. "Wagons vides ! Vous étiez pleins et vous voici vides à nouveau,
    Où vous êtes-vous débarrassés de vos Juifs ?
    Que leur est-il arrivé ?
    Ils étaient dix mille, comptés, enregistrés – et vous voilà revenus ?
    Ô dites-moi, wagons, wagons vides, où avez-vous été ? (...)
    Muets, fermés, vous avez vu.
    Dites-moi, ô wagons, où menez-vous ce peuple,
    ces Juifs emmenés à la mort ?"

    Ytshak Katzenelson

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  2. Le Chant du peuple juif assassiné....un texte très fort à l'histoire exceptionnelle. Bon après l'avoir lu et vu en spectacle un soir de St Valentin, j'ai quand même eu très envie de m'ouvrir les veines! Elly Hellsum nous redonnerait presque le moral après ça! ;-)

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